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La gratuité des transports en commun, une mesure de justice sociale et climatique

L’Institut Emile Vandervelde (IEV) a tenu sa deuxième conférence de 2022 le 27 avril dernier sur le thème de « La gratuité des transports en commun, une mesure de justice sociale et climatique ». Cette conférence a eu pour objectif d’avoir à la fois un diagnostic en matière de mobilité, de sa stratification sociale et de sa dimension territoriale et aussi d’avoir une vision sur ses modalités pratiques. Compte rendu ! 

L’Institut Emile Vandervelde (IEV) a tenu sa deuxième conférence de 2022 le 27 avril dernier sur le thème de « La gratuité des transports en commun, une mesure de justice sociale et climatique ». Cette conférence a eu pour objectif d’avoir à la fois un diagnostic en matière de mobilité, de sa stratification sociale et de sa dimension territoriale et aussi d’avoir une vision sur ses modalités pratiques. Compte rendu ! 

S’intéresser à la gratuité des transports en commun engage une réflexion sur la place de la mobilité dans la vie quotidienne des citoyens, un besoin fondamental qui permet l’accès à l'emploi, à la vie sociale, à l'éducation, à la culture, aux loisirs, etc. Un tel besoin doit être satisfait et accessible pour tout le monde à travers la mise en place de la gratuité des transports en commun ; une mesure qui permet de renforcer la justice sociale, de garantir le droit à la mobilité, d’améliorer le pouvoir d’achat et d’améliorer notre environnement et notre santé.

Le colloque s’est déroulé en deux panels, le premier sous la forme d’exposés portant sur les inégalités liées à la mobilité, les retombés de la gratuité des transports en commun et les différentes pistes de financement. Le deuxième panel a pris la forme d’une table ronde regroupant les opérateurs des transports en commun belges.

Le premier panel a réuni Boris Fronteddu (chargé de recherche au Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation), Thomas Ermans (chercheur associé à l'Institut de recherches interdisciplinaires sur Bruxelles), Vanessa Delevoye (directrice de l’innovation à l’Agence d'urbanisme Flandre-Dunkerque) et Olivier Malay (enseignant en économie à l’ULB et collaborateur à la Confédération des Syndicats Chrétiens).

Une vision globale de la mobilité 

Boris Fronteddu a commencé cette rencontre par une vision globale de la mobilité. Cette dernière est sujette à une intersection entre les inégalités sociales, spatiales et environnementales entrainant un triple fardeau pour les personnes les plus précaires : limitation des déplacements, exposition à la pollution et problèmes de santé. Cette triple précarité est liée à des facteurs structurels et infrastructurels. En effet, les personnes les plus précaires sont exposées à la pollution de l’air en raison de leur installation à proximité des tronçons routiers denses, de l’occupation de logements peu isolés et peu ventilés et de la nature de leur activité professionnelle (souvent à l’extérieur).

Boris Fronteddu a ensuite présenté l’accès inégal au système des voitures de société en Belgique, qui bénéficie aux plus hauts revenus mais dont les conséquences sanitaires, liées aux émissions des polluants (1/4 des déplacement), sont payés par les plus précaires. Il a été rappelé aussi que certaines solutions comme l’électrification du parc automobile ou les zones de basse émission ignorent les réalités socio-économiques de la population. A court et moyen termes, les ménages précaires seront confrontés à la difficulté de remplacer leurs anciens véhicules par des véhicules plus récents ou électriques. L’intervenant a terminé sa présentation en rappelant la nécessité d’investir dans l’aménagement de voiries et dans les transports publics pour favoriser une mobilité alternative et juste. Par ailleurs, il est essentiel de combiner une vision à court terme pour lutter contre la pollution de l’air sur la santé et une vision à long terme pour réduire de manière durable les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Une dépendance au transport automobile

Thomas Ermans a ensuite fait le lien entre les formes de mobilité et l’aménagement du territoire. En effet, les territoires et les sociétés ont été souvent façonnés en créant une forme de dépendance par rapport au transport automobile. Cette tendance a été remise en question en région bruxelloise depuis les années 2000 en repensant les espaces publics au profit des modes de transports alternatifs (sites propres pour les transports en commun, suppression de places de stationnement, etc.). Mais l’accès à la mobilité automobile demeure important et inégal selon le statut socio-économique. Cette inégalité se lit dans les choix résidentiels qui sont conditionnés par la proximité et l’accessibilité aux transports publics chez les plus précaires, qui leur permettent de répondre à leurs obligations sociales. En revanche, les plus riches ont tendance à choisir des lieux de résidences déconnectés des transports publics et à se déplacer davantage pour le loisir. A travers l’exemple de la Région Bruxelles-Capitale, Thomas Ermans s’est focalisé sur l’intersection des différentes variables socio-économiques, socio-professionnelles et de pratique de mobilité qui montre l’hétérogénéité spatiale de l’accessibilité en transports en commun et la représentation socialement différenciée en termes de pratique de vélo et de motorisation des ménages. Un tel constat pousse à prioriser les actions de renforcement des transports publics dans les quartiers les moins desservis et pour la population ayant une capacité limitée de se déplacer sur le territoire. La différenciation sociale est aussi visible dans le déplacement domicile-travail. La classe ouvrière de la RBC effectue souvent des longs trajets et ont une exigence de présence sur le lieu de travail plus importante que les autres catégories socio-professionnelles.

Empêcher l'exclusion des classes populaires

Ainsi, il est important d’appréhender cette différenciation sociale et spatiale en agissant non seulement sur le développement d’un bouquet complet et juste de la mobilité (marche, transports publics, vélo, autopartage, desserte interrégionale) mais aussi sur l’aménagement du territoire en densifiant les services publics et en contrôlant le phénomène de gentrification pour empêcher l’exclusion des classes populaires des espaces où il est possible de se passer de voiture.
Vanessa Delevoye, a partagé l’expérience de la gratuité des transports en commun à Dunkerque instaurée en 2018. La mise en place de la gratuité des transports en commun a conduit à la création de l’Observatoire des villes du transport gratuit en 2019 avec pour mission d’améliorer l’état des connaissances concernant la gratuité et d’évaluer ses effets.
La mise en place de la gratuité des transports en commun avait pour objectif de rendre du pouvoir d’achat aux habitants et de développer un arsenal de moyens pour mieux circuler. Ainsi, la gratuité a été proposée comme une mesure sociale plutôt qu’une mesure écologique ou une mesure favorisant le report modal. Par ailleurs, la gratuité a été couplée d’une restructuration totale du réseau existant pour le rendre socialement juste et d’un réaménagement de l’espace public favorisant le rétrécissement de la place dévolue à la voiture.
Vanessa Delevoye a abordé par la suite les idées reçues liées à la gratuité, soulignées dans le livre « La gratuité des transports, une idée payante ». A titre non exhaustif, il y a lieu de citer l’idée reçue que la gratuité des transports sacrifie la qualité du réseau. L’intervenante a précisé que le choix de développer l’offre de mobilité suite à la mise en place de la gratuité est un choix politique pour lequel Dunkerque a opté. Ainsi, la combinaison de la gratuité et l’amélioration de l’offre a permis non seulement d’inciter les citoyens à utiliser le bus mais aussi à les fidéliser.

Financement

En outre, les études de l’Observatoire ont aussi contredit l’idée reçue selon laquelle la gratuité des transports entraine une hausse des incivilités. À Dunkerque, les chiffres tendent à montrer une réduction des incivilités avec la gratuité (baisse de 65% entre 2014 et 2019) et un maintien du respect des normes sociales en raison de l’amélioration du contrôle social lié à l’augmentation de la fréquentation.

Enfin Vanessa Delevoye a insisté sur la nécessité d’avoir une politique transversale et ambitieuse en matière de mobilité permettant d’associer la gratuité avec un bouquet de moyens alternatifs et bas carbone (marche, vélo, etc.)

Olivier Malay a clôturé le premier panel en présentant des pistes de financement de la gratuité des transports en commun en Belgique. Cette dernière coûterait 1,3 milliard d’euros soit 1/3 des recettes trafic de 2019. Il a ensuite présenté trois propositions pour financer la gratuité :

  1. agir sur le régime de la voiture de société qui est financé via les déductions d’impôts et profitable aux plus riches
  2. faire contribuer les entreprises comme c’est le cas dans de nombreuses villes françaises où les transports en commun sont financés à moitié par une taxe sur les entreprises embauchant plus de 9 travailleurs
  3. introduire une taxe sur la fortune qui pourrait financer entre 6 et 26 ans de gratuité (compétence régionale).

Olivier Malay a mis en exergue la nécessité :

  1. de combiner la gratuité de transport avec le réinvestissement dans le transport en commun de manière à garantir une offre équivalente et redensifier le réseau
  2. d’avoir un modèle social universaliste profitable à toute la population.

Attractivité des transports et shift modal

Le deuxième Panel a réuni Stéphanie Pâques (directrice markting et sale à la STIB), Stéphane Thiery (directeur marketing au TEC) et Marc Huybrechts (directeur Marketing & Sales à la SNCB). Cette table ronde a permis de revenir sur les gratuités déjà mises en place ciblant certaines catégories de population. Les opérateurs ont préféré parler des gratuités, plutôt que de LA gratuité, en fixant des objectifs sociétaux et solidaires.

La gratuité totale ne leur semble pas être la bonne réponse au renforcement de l’attractivité des transports et au shift modal. Ils ont souligné que le tarif n’est pas la réponse unique aux besoins des usagers/clients qui sont demandeurs de plus de ponctualité, de sécurité et d’une meilleure qualité du service. Ils ont rappelé la nécessité d’intégrer le débat sur la gratuité des transports dans une approche plus holistique sur la mobilité de demain et sur les incitants à mettre en place en agissant simultanément sur trois volets :

  1. attractivité des transports (répondre efficacement aux attentes des usagers)
  2. durabilité des villes (moins de congestion et moins de pollution)
  3. performance du réseau. Les opérateurs ont partagé leurs craintes relatives aux incertitudes liées au financement et ont mis en exergue la nécessité de conduire des analyses sur l’impact des mesures de gratuité sur le changement de comportement des usagers. Ils ont proposé des pistes de tarification différenciée selon le profil des clients, le type d’usage, type de planification, etc.


Pour les opérateurs, si le choix politique s’oriente vers la gratuité totale des transports en commun, cette mesure doit s’accompagner par le renforcement de l’offre de transport, une garantie de pérennisation et des perspectives de financement sur au moins 10 ans.

Enjeu fondamental pour la transition climatique 

Pour conclure, la mobilité est un enjeu fondamental et un levier de la transition climatique. L’accès universel à la mobilité, à travers l’instauration de la gratuité totale des transports en commun fait l’identité du socialisme, à savoir faire sortir les biens essentiels à l’épanouissement de la logique marchande. Il est essentiel de penser la mobilité avec une vision globale de nos modes de vies et avec une réflexion sur l’aménagement du territoire, sur le logement et sur le contexte sociodémographique. Comme souligné par les différents intervenants, la gratuité totale des transports en commun doit se baser aussi sur une vision globale du financement garantissant la pérennisation de la mesure, le renforcement de l’offre et les investissements nécessaires.

Les échanges furent très enrichissants et de grande qualité. Nous continuerons le débat pour élargir le spectre des défenseurs de la gratuité des transports en commun et pour aller vers des débats sur les modalités de mise en place.

Pour prolonger la réflexion sur le sujet, nous vous proposons plusieurs liens intéressants :

- Fronteddu B, 2021. La mobilité en Belgique Plongée au cœur des inégalités environnementales
- Ermans T, 2019. Les ménages bruxellois et la voiture
- Strale M, 2019. Les déplacements entre Bruxelles et sa périphérie : des situations contrastées
- Observatoire des villes du transport gratuit, 2022. La gratuité des transports, une idée payante ? (Livre)
- Apostel A et O’Neill Daniel, 2022. A one-off wealth tax for Belgium: Revenue potential, distributional impact, and environmental effects 

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